jeudi 28 mai 2009

Almodovar, un travail de deuil réussi








Étreintes brisées, de Pedro Almodovar





Dans l’une des séquences d’Étreintes brisées, Pedro Almodovar met en scène la photogénie de son actrice-fétiche, Penelope Cruz, en la rapprochant du look d’Audrey Hepburn, la “Fair Lady“, l’une des actrices les plus élégantes de l’histoire du cinéma. À la différence de Quentin Tarantino, qui fonde l’écriture de ses films sur le monde de sa cinéphilie, Almodovar, quoique très connaisseur des films classiques et de ceux de ses contemporains (comme il l’a montré dans l’entretien accordé aux Inrockuptibles, http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/la-lecon-de-cinema-de-pedro-almodovar), ne sature pas ses scénarios de telles références, mais en joue simplement, avec beaucoup de goût.














Audrey Hepburn, Penelope Cruz

Étreintes brisées raconte l’histoire à deux temps de Mateo Blanco (Lluis Homar), un réalisateur qui, après avoir perdu sa femme, Lena (Penelope Cruz) et la vue, renaît sous le nom de plume d’un scénariste, Harry Caine. En empruntant une autre identité, et en vivant pleinement l’instant présent, il s’est convaincu qu’il pourra oublier l’amour fou qu’il portait à Lena. Ce passé va pourtant resurgir.

Almodovar excelle dans l’art de construire des histoires complexes, où les rapports entre les personnages sont empreints de passion amoureuse, de jalousie, de violence. Il le fait dans un style qui est, depuis quelque temps, de plus en plus épuré. Ce qui lui permet, de temps en temps, de provoquer des ruptures de ton, en passant du drame à la comédie, comme pour alléger le poids d’un passé trop lourd à porter. Très savoureux sont les moments où une jeune femme, qui arrive à lire sur les lèvres, déchiffre, sur les images tournées par un improbable “Ray X“, et commanditées par le mari de Lena, ce que celle-ci dit de lui à son amant, Mateo.

En ce sens, outre la (toujours) très grande capacité de ses personnages à converser sur leur situation, dans un dialogue d’une qualité indéniable, Étreintes brisées (http://www.losabrazosrotos.com/?lang=fr) peut se comprendre comme un exemple réussi de travail de deuil. Surmontant sa peine, Mateo/Harry finit par se confronter à l’image de Lena disparue telle que projetée dans le film qu’il avait réalisée avec elle quinze ans plus tôt. Ni fétiche, ni point de fixation, cette image, allégée par la grâce de Penelope Cruz et le caractère comique de l’histoire mise en scène, provoque un sentiment d’apaisement, signe du dépassement de l’état de mélancolie.



lundi 4 mai 2009

Une Amérique post-raciale?


L'Amérique de Barack Obama est-elle (déjà) devenue post-raciale? C'est en tout cas l'un des sujets qui animent en ce moment les débats aux États-Unis. Le président a donné mercredi dernier une conférence de presse où il a été interpellé sur la question de savoir si l'État fédéral allait faire un effort particulier pour soutenir ceux qui, étant Africains-Américains, souffrent davantage encore de la crise actuelle.

Voici l’échange en question :


Andre Showell (correspondant de Black Entertainment Television à Washington) : As the entire nation tries to climb out of this deep recession, in communities of color, the circumstances are far worse. The black unemployment rate, as you know, is in the double digits. And in New York City, for example, the black unemployment rate for men is near 50 percent. My question to you tonight is given this unique and desperate circumstance, what specific policies can you point to that will target these communities and what's the timetable for us to see tangible results?

Barack Obama : "Well, keep in mind that every step we're taking is designed to help all people. But, folks who are most vulnerable are most likely to be helped because they need the most help.

So when we passed the Recovery Act, for example, and we put in place provisions that would extend unemployment insurance or allow you to keep your health insurance even if you've lost your job, that probably disproportionately impacted those communities that had lost their jobs. And unfortunately, the African-American community and the Latino community are probably overrepresented in those ranks.

When we put in place additional dollars for community health centers to ensure that people are still getting the help that they need, or we expand health insurance to millions more children through the Children's Health Insurance Program, again, those probably disproportionately impact African-American and Latino families simply because they're the ones who are most vulnerable. They have got higher rates of uninsured in their communities.

So my general approach is that if the economy is strong, that will lift all boats as long as it is also supported by, for example, strategies around college affordability and job training, tax cuts for working families as opposed to the wealthiest that level the playing field and ensure bottom-up economic growth.

And I'm confident that that will help the African-American community live out the American dream at the same time that it's helping communities all across the country."

Une réponse toute politique, qui, avec sa mention du "rêve américain", peut paraître décevante, eu égard aux espoirs que la communauté africaine-américaine a placés dans la personne de Barack Obama. Et pourtant, l’argument est très représentatif de la manière à la fois pragmatique et volontariste qui caractérise les premières décisions prises par la nouvelle administration.

Penser l’intérêt général ne revient pas à exclure davantage encore les minorités et les pauvres mais à tenter de mieux les inclure dans la société. L’école et la santé sont deux des enjeux majeurs, que l’État fédéral va soutenir. De fait, cela visera prioritairement les Africains-Américains et les Latinos, mais sans pour autant faire de leur sort l’objet d’une politique discriminante à l’égard des couches moyennes qui souffrent également de la crise. Car beaucoup d’Américains viennent d’être brutalement privés de leur emploi et plongés dans une forme de déclassement. Paradoxalement, l’avenir peut sembler plus ouvert à ceux qui endurent depuis longtemps des conditions de vie dégradées, car l’État va tenter de gérer de manière structurelle leur situation. Précarité subite des uns, faiblesse récurrente des autres : la crise renforcera-t-elle le lien social, donc national ?